L’architecture de Valerio Olgiati gravite entièrement autour de l’idée de pureté, incarnant une pureté de forme, de matériau, de lumière et d’expérience esthétique. Les structures que l’architecte conçoit avec son atelier sont saisissantes ; pour les étudiants, elles illustrent parfaitement la possibilité des détails et des matériaux qui occupent simultanément différentes échelles et dimensions. Cette attention particulière accordée au discours préétabli de la conception permet l’émergence d’une expérience orchestrée qui se distingue de la perception de tout autre bâtiment ou espace environnant. La chorégraphie des idées, des dessins, de la construction et de l’espace livré en final témoigne de l’implication de Valerio Olgiati à tous les stades de la vie d’un projet.

Depuis son bureau établi à Flims, une petite ville du canton suisse des Grisons, Valerio Olgiati s’est constitué un impressionnant portefeuille de travaux parmi lesquels figurent notamment l’école de Paspels, Das Gelbe Haus, l’Atelier Bardill et le Centre du Parc national suisse. Ces projets ont un impact unique sur le paysage alpin, comme beaucoup d’autres menés par ce cabinet. Le cadre des petites villes nichées dans des vallées dominées par des pics enneigés contribue en outre à souligner l’esthétique nette et disciplinée de l’architecture de Valerio Olgiati.

Rudolf Olgiati, fils de l’architecte moderniste suisse et plus jeune membre de la famille Olgiati, s’est efforcé de prendre de la distance par rapport aux méthodes et à la démarche de son père. Le modernisme a constitué un moment de profonde réflexion dans l’histoire de l’architecture : son aspiration à prendre des décisions fondées et à tenir un discours culturel concis a contribué à forger l’idée d’un architecte-génie capable de générer de profonds changements. Cette idée fait depuis l’époque de Le Corbusier et du Bauhaus l’objet d’un large débat qui transparaît dans les œuvres d’Olgiati. Si celui-ci ne se considère en aucun cas comme un moderniste, il incarne en revanche l’idée d’un architecte-auteur dont la mission consiste à composer une expérience architecturale complète. Le concept d’auteur en architecture diffère de la démarche d’un architecte comme Bernard Tschumi, dont la définition de l’identité de l’auteur fluctue constamment. Pour Valerio Olgiati, la nature fixe de la relation existant entre le sujet et l’objet dessiné permet l’émergence d’une pureté caractéristique de ses œuvres, qui se distinguent donc par leur résistance au temps. Les idées qu’il introduit dans chacun de ses projets ont la capacité de vivre indéfiniment grâce à la minutieuse orchestration de son atelier.

On peut voir cette monumentalité à l’œuvre dans le canton des Grisons, au Centre du Parc national suisse : perché au sommet du Tarmac noir, celui-ci ressemble à une Ziggurat inversée dont la structure en béton blanc s’enfonce directement dans le sol. Cette construction semble avoir été taillée dans un bloc de pierre et se compose de deux cubes réunis dans une étreinte diagonale ; à chaque niveau, les murs sont percés de sombres fenêtres rectangulaires qui contrastent brutalement avec la façade lisse et blanche, tout en renseignant sur l’épaisseur des murs. Aménagé pour servir de centre touristique au parc voisin, cet espace est à la fois stérile et accueillant. Aux yeux des visiteurs, Valerio Olgiati fait figure de conteur désireux de ne pas tout dévoiler immédiatement au sujet de cet espace, mais de présenter progressivement les personnages composant l’ensemble du bâtiment, depuis les détails enfouis dans les méandres de cet espace jusqu’au jeu provocateur de la lumière naturelle qui balaye les surfaces de la structure. C’est cet assemblage d’éléments composant l’ensemble de la structure qui produit une expérience particulière de l’espace dont Olgiati veut que les visiteurs se souviennent. Ce monument constitue une cathédrale des temps modernes pour la ville, trônant au cœur de sa culture, immobile comme les paysages eux-mêmes.

Conçu aussi par Valerio Olgiati, l’Atelier Bardill fonctionne de la même façon. Commandé par le poète et musicien Linard Bardill, cet espace est un sanctuaire consacré à la composition et à l’introspection bâti au centre de la petite ville suisse de Scharans, sur le site d’une ancienne grange. Olgiati a dû se conformer aux strictes règles du bâtiment, qui stipulent qu’une nouvelle construction ne peut pas occuper plus d’espace que celui qui l’a précédé. Ces paramètres se sont toutefois révélés avantageux pour son projet : ils l’ont en effet poussé à adopter une approche scénographique dans la visualisation et la conception de cet espace. L’extérieur de la structure se compose de murs bruns marqués par les lignes dures et anguleuses du corps de l’atelier. Ces murs sont mouchetés de bas-reliefs en forme d’étoiles qui confèrent une apparente profondeur à ce mur pourtant plat ; seule la variation de la lumière du jour révèle la subtilité de cette texture. L’espace intérieur se divise en deux zones claires. Il s’agit d’une interprétation moderne d’un cloître monastique médiéval, dans l’enceinte duquel une vaste pièce a été prévue pour accueillir l’atelier de Linard Bardill. Les objets peuplant cet espace se résument à une longue table de lecture, un ordinateur, une chaise, quelques instruments de musique et une chaise longue des Eames. Dans le coin se trouve une modeste cheminée qui contribue à mettre en valeur l’ascétisme de cette retraite.

Mais le point d’orgue de cet atelier réside ailleurs. Pour le trouver, il faut regarder au-delà de la vaste baie vitrée qui sépare l’espace de travail de Linard Bardill et la cour à ciel ouvert. Là, un grand oculus en béton se répercute sur les murs massifs des quatre côtés, faisant communiquer l’intérieur avec l’immensité du ciel et donnant à cet atelier un air d’installation de James Turrell. C’est là, en parcourant un chemin bordant le jardin intérieur, que Linard Bardill réfléchit à ses derniers projets en se livrant à la circumambulation. À la façon des moines des siècles passés, il se sert de la marche comme d’une activité favorisant une réflexion profonde. Cette caractéristique est emblématique de l’architecture de Valerio Olgiati, qui utilise des procédés architecturaux pour orchestrer une utilisation prescrite de l’espace. Plutôt que de proposer une utilisation particulière du bâtiment, il suggère la façon dont il convient d’utiliser l’espace à travers son maniement d’éléments vides et solides, clairs et obscurs. Fondée sur l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, la structure binaire de l’Atelier Bardill démontre clairement ce principe.

Le fait qu’il ait un jour confié à un groupe d’étudiants que son livre préféré était La Source vive d’Ayn Rand ne devrait pas surprendre ses admirateurs. L’histoire d’Howard Roark et l’idée d’un architecte-héros illustre en effet de nombreux aspects du travail de Valerio Olgiati, qui pense comme ce personnage que l’architecte incarne l’homme de la Renaissance. Sa production intellectuelle et créative ne devrait donc pas céder aux demandes d’un public anonyme. Si l’on voulait rattacher Valerio Olgiati à mouvement particulier, il s’agirait du modernisme : ses œuvres incarnent l’idée selon laquelle l’architecte a pour rôle d’apprendre au public à voir et à comprendre un bâtiment. Cette relation produit une pureté qui ne repose pas sur des vérités essentielles à proprement parler, mais fait surgir une expérience esthétique qui demeure sous le contrôle de l’auteur original du bâtiment : l’architecte.

Essai de Peter Dumbadze