L’artisanat ne se résume pas à un simple acte de création : bien plus vaste, ce concept dépasse l’industrialisation et considère que les outils et matériaux constituent de précieuses ressources qu’il convient d’employer avec soin plutôt que d’exploiter. Pendant le processus de production artisanale, il est inconcevable de faire abstraction du lien unissant les matériaux à leur origine naturelle. Si l’artisanat s’hérite de génération en génération, il contribue néanmoins à activer un processus de création consistant à employer des compétences techniques pour donner naissance à des objets matériels d’excellente qualité. De célèbres architectes comme Sou Fujimoto ont entrepris de se frayer un chemin dans l’univers de l’artisanat en se lançant à la découverte de techniques et de matériaux traditionnels. Les expérimentations de Fujimoto autour de centres culturels et de studios d’artistes repoussent les frontières de cette discipline et aspirent à produire une authentique architecture capable de transporter ses utilisateurs loin des métropoles surpeuplées. Junya Ishigami, un autre architecte qui se livre lui aussi à l’exploration de l’artisanat et du minimalisme, aborde pour sa part les établissements d’enseignement comme des oasis de paix. Dans son ouvrage de 2008 intitulé The Craftsman, le professeur de sociologie à la London School of Economics, Richard Sennett, décrit la relation complexe que l’artisanat entretient avec les sociétés antiques comme contemporaines. Il s’interroge sur ce que les disciplines artisanales peuvent nous apprendre sur les comportements humains. « Le défi [que représente l’utilisation d’outils] se corse lorsque l’on est contraint de les utiliser pour rattraper ou corriger des erreurs. Dans la création comme dans la réparation, ce défi peut être relevé en adaptant la forme d’un outil ou en improvisant, c’est-à-dire en l’utilisant tel quel à des fins auxquelles il n’était pas destiné », explique-t-il. En d’autres termes, la capacité d’adaptation est primordiale ; avec un peu de créativité et d’ingéniosité, un seul outil peut ainsi suffire à satisfaire tous les besoins d’un projet tout entier. Un patrimoine à préserver peut par exemple se muer en un outil, comme des morceaux de porcelaine qu’un artisan recollerait avec de la laque pailletée d’or pour confectionner un précieux vase japonais kintsugi. De récents projets de création architecturale ont d’ailleurs adopté ce type d’approche pour traiter les matériaux, l’environnement et le patrimoine artistique.

Mirrored Gardens

Conçu par Sou Fujimoto non loin de la ville chinoise de Canton, le projet Mirrored Gardens est né du désir de créer un espace artistique d’un nouveau genre, capable d’interagir directement avec le milieu rural environnant. Le client Vitamin Creative Space a ainsi imaginé un vaste projet de développement de 4600 mètres carrés comprenant des restaurants, des installations culturelles et des projets immobiliers. Pour donner corps à ce projet et s’assurer qu’il se fonde dans son environnement, Sou Fujimoto s’est inspiré des caractéristiques naturelles et traditionnelles des villages alentours. Soucieux de minimiser l’impact des constructions sur le site, il a opté pour une organisation en plusieurs petits bâtiments qui donnent au complexe un air de village. La vocation agricole de ce complexe a été maintenue et promue pour développer un centre de création où des champs agricoles sont utilisés pour permettre aux artistes de collaborer entre eux et de tisser des liens entre l’espace et la communauté locale. Les matériaux sélectionnés, comme les tuiles de toiture anciennes et les briques grises de la dynastie Qing prélevées sur l’entrepôt existant, ont joué un rôle fondamental dans la préservation du caractère typique des Mirrored Garden et de leur harmonie avec la nature.

Studio Terracotta

Imaginé par le jeune cabinet d’architecture vietnamien Tropical Space fondé par Nguyen Hai Long et Tran Thi Ngu Ngon, le Studio Terracotta est profondément ancré dans la culture de la province de Quang Nam et abrite l’atelier du célèbre céramiste local Le Duc Ha. Ce bâtiment est imprégné de la culture héritée du royaume hindou de Champa, qui a dominé la région entre les IVe et VIIe siècles. « Le fleuve Thu Bon exerce une puissante influence sur la vie des locaux, dont la plupart dépendent de l’agriculture et de différentes disciplines artisanales pratiquées dans le village, comme la terre cuite, les tapis ou la soie. » Sa principale structure se compose d’un cube en bambou de sept mètres de côté. Son revêtement de brique tient lieu de rideau, tandis que les trous formés par ses motifs irréguliers favorisent la ventilation naturelle et garantissent l’intimité de l’artiste. Les trois niveaux de cet espace sont cloisonnés par un cadre intérieur divisé en modules de soixante centimètres carrés comprenant des étagères destinées à exposer des œuvres d’art, mais aussi deux bancs, des couloirs et une cage d’escalier.

Artist Clubhouse de Xixi

Cinq lanternes éclairent la zone humide de Xixi, un parc national remontant à 1800 ans qui s’étend dans l’ouest de la ville chinoise de Hangzhou. Établi au cœur des marécages, l’Artist Clubhouse de Xixi transforme ce lieu en un puits d’inspiration pour les artistes et les designers. Cinq structures composées de trois « Y » (un grand au centre et deux plus petits autour) donnent sur l’espace environnant à travers un mur vitré qui fait figure d’immense fenêtre sans cadre. Zhang Lei, le fondateur du cabinet d’architecture AZL Architects, explique que « le plus grand défi a consisté à adoucir les formes géométriques de la construction. Nous avons finalement choisi d’appliquer des matériaux très transparents pour exalter le charme brumeux de Jiangnan. » Les structures centrales à deux niveaux abritent des studios en duplex ainsi qu’une cage d’escalier principale menant à des balcons intérieurs. Construits sur un niveau, les bras de ces structures se composent d’un cadre en acier revêtu d’un panneau en polycarbonate translucide qui fait pénétrer la lumière dans les cuisines, les chambres et les plus petits studios. Un savant mélange d’éléments translucides et transparents permet de donner vie à l’austère géométrie de cette création.

Wuxi Vanke

L’architecture de Kengo Kuma repose sur la volonté d’immerger l’architecture dans son environnement culturel. La véritable innovation réside toutefois dans sa réinterprétation des éléments traditionnels fondée sur une utilisation novatrice des matériaux. C’est ce qu’illustre Wuxi Vanke, une filature de coton en brique rouge construite pendant les années 1960 et désormais transformée en un complexe consacré à l’art et à la vente au détail. Situé non loin du lac Taihu, près de Shanghai, cet espace comprend une nouvelle extension incurvée et revêtue de panneaux métalliques perforés. « L’idée nous a été soufflée par la forme de la pierre de Taihu, au cœur de la culture éponyme. Nous avons confectionné des panneaux poreux en fonte d’aluminium ; nous les avons ensuite combinés pour créer un espace en forme d’amibe, que nous avons à son tour inséré dans une structure rigide en brique », explique Kengo Kuma. Les nombreux trous qui criblent la façade incurvée en aluminium permettent à la lumière naturelle de pénétrer dans la pièce et d’illuminer délicatement l’intérieur de la galerie.

Bamboo & Earth

Le cabinet d’architecture H&P Architects promeut le projet Bamboo & Earth, sur lequel travaillent des constructeurs locaux et dont la vocation consiste à ouvrir de nouveaux espaces communautaires à la culture et aux arts dans le centre surpeuplé et embouteillé de Mao Khe, une ville du Nord du Vietnam. Ce projet vise également à faire connaître et à revitaliser la technique traditionnelle de construction de murs en pisé. Cette structure a été construite en compressant un mélange de terre, de sable, de gravier et d’argile au moyen d’un moule en bois appliqué de l’extérieur puis retiré dès que le mur a été suffisamment solidifié pour tenir debout. Les murs ainsi obtenus suivent une trajectoire parallèle en zigzag et délimitent des espaces verts destinés à la communauté. La structure est recouverte de couches de bambou et de roseaux superposés qui permettent d’en réguler la ventilation et l’éclairage naturel.

Musée d’art de Chichu

Située dans la mer intérieure de Seto, l’île japonaise de Naoshima s’est progressivement éloignée de ses racines industrielles pour se transformer au fil des trente dernières années en une Mecque de l’art. Elle abrite en effet une admirable collection d’œuvres d’art et de créations architecturales, dont le musée d’art de Chichu, conçu par Tadao Ando Architect & Associates. Cet établissement a pour vocation de produire un harmonieux mélange d’art et d’architecture ; il a été construit pour exposer une collection permanente composée d’œuvres de Claude Monet, Walter de Maria et James Turrell. Ando, architecte japonais lauréat du prix Pritzker, explique : « Je me suis systématiquement astreint à enterrer les structures afin de ne pas dénaturer le paysage. Dans le cas du musée d’art de Chichu, je suis allé encore plus loin en conservant la saline intacte et en faisant en sorte que la construction de l’ensemble de la structure soit souterraine. » Ce bâtiment enfoui sous terre est donc invisible, mais parfaitement conçu pour produire des jeux d’ombres et de lumières : seuls éléments visibles depuis l’extérieur, sa géométrie sévère et les creux de sa structure en béton se présentent comme une sélection ludique de formes pures et sculptent le paysage de la façon la plus harmonieuse qui soit.

Inujima Art House Project

Toujours dans la mer intérieure de Seto, mais cette fois sur la petite île d’Inujima, l’architecte Kazuyo Sejima (SANAA) et la directrice artistique Yuko Hasegawa ont imaginé une série d’installations parmi les habitations traditionnelles du village. Le projet intitulé Inujima Art House Project a vu le jour pour inspirer la communauté locale en construisant cinq nouvelles galeries d’art. Réparties sur l’ensemble de l’île, ces galeries se composent de matériaux divers, de l’aluminium aux traditionnelles tuiles de toiture en passant par le plexiglas transparent. Pour Kazuyo Sejima : « Le logement, l’architecture et l’art qui précédaient l’exécution de ce projet ne font plus qu’un avec la sérénité du décor environnant. Nous avons voulu faire en sorte que le village tout entier et son environnement constituent respectivement un musée et une scénographie d’un genre nouveau. » Non loin du littoral de l’île, la C-Art House a été installée dans un abri en bois restauré datant du XIXe siècle ; encore clairement apparente, sa structure intérieure se compose d’une charpente vieillissante soutenue par de nouvelles colonnes en bois. Un écran panoramique a été disposé sur les murs recouverts de panneaux en bois pour y projeter des films. Une cloison coulissante permet quant à elle de faire entrer davantage de lumière, tout en encadrant la vue d’une mer lointaine.

Design Republic Commune

À nouveau en Chine, le cabinet d’architecture Neri & Hu fondé par Lyndon Neri et Rossana Hu a minutieusement réaménagé un ancien commissariat de police britannique. Construit à Shanghai dans les années 1910, celui-ci accueille désormais un nouvel espace d’événement, une galerie de design ainsi qu’une boutique consacrée à leur marque de mobilier Design Republic. Cette rénovation a été le fruit d’un travail méticuleux consistant à « délicatement retirer le bois et le plâtre qui se décomposaient puis à soigneusement restaurer les trames de briques d’un rouge encore éclatant, tout en appliquant des tissus, des joints et des pièces sur les parties nécessitant une reconstruction. » Ce processus a donné naissance à un espace au sein duquel s’entremêlent harmonieusement le passé et le présent. De modernes installations en verre laissent entrevoir des vues inattendues en différents points du bâtiment, révélant ainsi des murs en briques et des poutres apparentes. Cette imposante structure incarne l’esprit de la marque, dont la nouvelle approche du design mobilier consiste à repenser la culture chinoise en enfreignant les règles, sans pour autant détruire le patrimoine culturel.

Garage Centre for Contemporary Culture

Considéré comme un maître en matière de travail artisanal du papier, Shigeru Ban est l’auteur de bâtiments internationalement renommés dont la signature réside dans sa capacité à conjuguer l’architecture et l’origami. Il s’est en effet servi de papier pour concevoir des bâtiments aux formes inattendues et novatrices, tels que des centres d’accueil d’urgence ou des écoles temporaires. L’une des structures qui illustrent le mieux sa capacité à jouer avec ce matériau est le pavillon éphémère qu’il a imaginé pour le Garage Centre for Contemporary Culture, bâti il y a quelques années à Moscou. S’il ne s’agit pas de son dernier projet en date, on se souvient encore de ce pavillon pour ses colonnes en carton épais qui se dressent tout le long de son périmètre. « Le pavillon temporaire est à la fois facile à construire et bon marché, dans la mesure où il se compose de matériaux issus de la production locale de Saint-Pétersbourg », explique Shigeru Ban. Conçu pour accueillir temporairement la collection du Garage Centre, ce bâtiment provisoire est devenu un centre foisonnant d’expérimentation. Un mur de six mètres de haut a été bâti à partir de tubes en papier produits localement pour clôturer un espace ovale de 2400 mètres carrés.

Musée Bauzium

Pour concevoir le musée Bauzium, Archium s’est inspiré des rigoureuses conditions climatiques et des paysages changeants de ce site de Corée du Sud, établi au-delà des monts Taebak qui s’étendent le long de la péninsule coréenne. Les cailloux qui dévalent les collines et le vent qui s’engouffre dans les brèches confèrent toute sa poésie à ce lieu. Kim In-cheurl, le fondateur d’Archium, explique que « la coïncidence de propriétés physiques plutôt que de plans et d’intentions [s’avère après tout inévitable]. Si les arts plastiques ou la sculpture [sont] le résultat d’une nécessité intentionnelle, l’architecture [constitue une tentative] diamétralement opposée. » Cette enceinte couvre 4500 mètres carrés et comprend trois bâtiments : le pavillon de sculpture moderne abritant l’exposition permanente, le pavillon spécial destiné aux expositions temporaires et la galerie de sculpture Kim Myoung-Sook, destinée aux expositions personnelles de l’artiste et utilisée comme atelier. Le bassin qui s’étend devant la principale façade vitrée reflète à la fois l’architecture et certains éléments du paysage environnant, qu’il unit en son sein.

Atelier de l’Institut de technologie de Kanagawa

Dans le studio et l’atelier de l’Institut de technologie de Kanagawa, à Atsugi, au Japon, la créativité, l’innovation et le design ne connaissent pas de limites. Junya Ishigami et ses associés ont traduit ce concept de liberté à travers le langage architectural de ce bâtiment, dont les utilisateurs ressentent une sorte de liberté intérieure et l’impression de se trouver à l’extérieur. Son plafond semble flotter au-dessus d’une complexe architecture de 350 colonnes porteuses apparemment disposées de façon aléatoire, mais malgré tout réglées sur une sorte de logique qui transcende la façon traditionnelle de concevoir la structure. C’est de cette fascinante interprétation du concept de plan ouvert que jaillit le formidable sentiment de transparence et d’espace ininterrompu. « Afin de garantir aux utilisateurs la liberté de modifier les espaces pour répondre à différents besoins dans un délai relativement court, j’ai commencé à trouver plus logique de privilégier la souplesse dans l’établissement de relations entre des lieux contigus et dans la façon de faire communiquer différents espaces », explique Junya Ishigami, le fondateur de l’Institut. Les années qu’il a passées chez SANAA ont façonné la cohérence de son travail, développé sa capacité à créer un type d’architecture capable de se fondre dans son décor et affermi sa volonté de laisser les visiteurs l’appréhender en toute liberté, en les guidant doucement sans jamais les forcer à interagir avec lui.

Académie chinoise des arts

Après la démolition de maisons traditionnelles, plus de deux millions de tuiles de tailles et d’époques différentes ont été récoltées dans toute la province de Zhejiang pour construire la toiture de la nouvelle Académie chinoise des arts. Il ne s’agit que d’un exemple parmi tant d’autres anecdotes révélatrices de l’esprit sur lequel repose le projet mené par le cabinet d’architecture Amateur Architecture Studio, co-fondé par les lauréats du prix Pritzker, Wang Shu et Lu Wenyu. Des techniques de construction traditionnelles ont également été employées dans le souci de préserver et de redécouvrir le patrimoine de la région.
Fondée en 1928, l’Académie chinoise des arts de Hangzhou est la plus ancienne de Chine. Doyen de la faculté d’architecture depuis 2007, Wang Shu a imaginé le nouveau campus de l’université, qui s’étend sur 67000 mètres carrés. Ce projet lui a donné l’occasion de revisiter l’architecture chinoise typique et de procéder à une réinterprétation contemporaine du patrimoine local. Une méthode locale de construction, traditionnellement utilisée sur les plantations de thé, a par ailleurs été employée pour construire le socle en pierre de l’école d’art, contribuant ainsi à enraciner l’école dans son environnement.