Snøhetta conçoit des opéras et des musées fonctionnant comme des espaces publics, à la manière de paysages urbains. Pour Kjetil Trædahl Thorsen, l’un des fondateurs de ce cabinet d’architectes norvégien, c’est la qualité de notre univers quotidien qui nous permet de prendre conscience de notre environnement, mais aussi d’accorder notre confiance et notre affection à l’espace et au milieu bâti qui nous entourent.(Interview de Heini Lehtinen)

L'opéra et le ballet national norvégien, 2000–2008; photo Christopher Hagelund

Subtiles métamorphoses: Snøhetta | Culture

L'opéra et le ballet national norvégien, 2000–2008; photo Christopher Hagelund

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Snøhetta est originaire de Norvège, un pays où règnent une vaste nature et d’éblouissants décors de montagnes, de fjords, le grand large et l’infini des cieux. Pour ce cabinet d’architectes, le paysage constitue 90% de l’architecture, tandis qu’un bâtiment ne représente qu’un détail de ce paysage. Selon Snøhetta, si les édifices ne permettent pas de résoudre des problèmes existants, ils peuvent toutefois contribuer à apporter une réponse partielle à certains besoins. « Lorsqu’elles conçoivent et bâtissent des opéras, des musées ou des bibliothèques, nos équipes ne cherchent pas à créer des paysages publics destinés à ceux qui vont effectivement entrer dans ces bâtiments, mais à ce que les bâtiments et leurs environs deviennent des lieux propices au rassemblement, à la promenade, à l’activité physique ou au repos. Si ces constructions demeurent des forums de haute culture, ils n’en appartiennent pas moins à notre espace urbain quotidien. »

Kjetil Trædahl Thorsen

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Kjetil Trædahl Thorsen

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« En substance, les bâtiments qui nous entourent sont bien plus que des bâtiments », explique l’architecte Kjetil Trædahl Thorsen. Les paysages urbains sont eux aussi partiellement bâtis et notre petite plateforme est en train de transformer les outils de planification ainsi que notre façon de percevoir notre environne- ment. » Kjetil Trædahl Thorsen est l’un des fondateurs de Snøhetta, tout comme Inge Dahlman, Berit Hartveit, Johan Østengen, Alf Haukeland et l’architecte Øyvind Mo. L’ambition de Snøhetta, qui œuvre désormais à l’échelle mondiale, est de faire fusionner l’architecture et le design de paysage. Fondé en 1987, le bureau d’architecture a acquis une reconnaissance mondiale et remporté des projets internationaux de grande envergure grâce à cette approche singulière.

Bibliotheca Alexandrina, Alexandrie, Égypte, 1989–2001

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Bibliotheca Alexandrina, Alexandrie, Égypte, 1989–2001

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Vers une architecture du quotidien

En intégrant des constructions tels que des opéras dans notre paysage urbain, il est également possible de développer un plus grand sentiment d’appartenance pour mieux les apprécier. La coexistence d’espaces clairs et fonctionnels, d’un éclairage agréable, du sentiment de maîtrise de soi et de son milieu génère un cercle vertueux menant à la protection de l’environnement. « On pourrait imaginer une architecture quotidienne dotée d’une qualité spatiale, d’un contrôle climatique et environnemental, mais également d’une forme de compréhension sociale », déclare Kjetil Trædahl Thorsen. Nous pratiquons depuis quelques temps déjà une architecture pensée pour les vacances ou le dimanche. Il me semble que l’architecture du quotidien constitue pourtant une étape logique, un domaine qui a jusqu’ici été négligé. »

Opéra, Busan, Corée du Sud, 2012–en cours

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Opéra, Busan, Corée du Sud, 2012–en cours

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« Pensez à votre épicerie de quartier. Personne ne semble accorder d’importance aux espaces où nous allons faire nos courses. Ces lieux ne présentent aucune importance, puisque leur fonction se limite à pro- poser des aliments au plus bas prix possible. L’intégration de la compréhension sociale dans l’architecture quotidienne pourrait consister à fournir des informations sur l’origine des aliments, sur leur producteur et sur l’itinéraire parcouru jusqu’au consommateur, le tout à travers l’architecture du lieu de vente. En soignant la qualité de notre environnement, il devient en effet possible d’exacerber la sensibilité et la conscience d’un plus vaste public. Près de 80% des constructions élevées dans le monde sont bâties sans aucune connaissance de cause. Je parle de villes du sud, mais aussi et surtout d’environnements dont la planification se fait sans l’aide d’architectes. Dans de nombreux cas, on pourrait penser que cela ne pose pas de problème, bien qu’il soit souvent nécessaire d’avoir un minimum de clairvoyance », souligne l’architecte. « En ne prêtant aucune attention à l’espace qui nous entoure, on passe certainement à côté de quelque chose. On entend sou- vent dire que certains types d’architecture peuvent se passer d’architectes, mais c’est faux. »

Opéra, Busan, Corée du Sud, 2012–en cours

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Opéra, Busan, Corée du Sud, 2012–en cours

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Des perceptions en pleine mutation

En transformant des bâtiments culturels en un paysage accessible au public, on peut renforcer la qualité et le respect des environnements publics urbains. L’architecture permet également de rendre notre environnement plus durable, dans tous les sens du terme, et peut en somme constituer un outil capable de modifier nos comportements ainsi que notre façon de penser l’environnement. « Il est clair qu’à l’heure actuelle, les questions environnementales sont loin de représenter une priorité ; il reste beaucoup d’obstacles à lever pour faire bouger les choses », déclare Kjetil Trædahl Thorsen. Comment produire des bâtiments véritablement durables sur le long terme et respectueux de l’environnement ? Quel impact cette transformation aura-t-elle sur l’esthétique de nos villes et de nos objets ? Ces questions me semblent extrêmement intéressantes. Il faudra bien entendu changer notre façon de penser pour comprendre l’esthétique fondée sur la relation existant entre les formes et l’environnement ; ce déplacement modifiera peut-être notre perception de la beauté et de la laideur et nous permettra certainement de mieux comprendre la façon dont nous percevons le monde. En architecture, l’esthétique est en quelque sorte mue par la nécessité ; ce constat pourrait avoir une influence considérable sur notre perception de ce à quoi devrait ressembler les choses », explique-t-il.

« Afin de répondre à une exigence juridique et de permettre l’accès d’un bien plus vaste public à différents lieux, des accès pour handicapés ont été intégrés à toutes les constructions ; une telle mesure a influencé l’esthétique de nos bâtiments ainsi que notre façon de concevoir les objets. Du jour au lendemain, une nouvelle esthétique fondée sur des surfaces légèrement rehaussées a ainsi vu le jour. Notre perception des rampes a changé et il est soudain devenu nécessaire de concevoir des sols plus lisses afin de permettre l’accès de chaises roulantes, caractérisées par une mobilité différente. L’architecture implique l’utilisation du corps tout entier; elle est non seulement liée à notre façon de penser, mais également à notre façon de ressentir ce qui nous entoure. »

Bibliotheca Alexandrina, Alexandrie, Égypte, 1989–2001

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