New Museum Africa / Zeitz MOCAA

Beaucoup considéreront que Mark Coetzee exerce le plus beau métier du monde. Depuis presque dix ans, le conservateur en chef et directeur exécutif du Musée Zeitz d’art contemporain d’Afrique (Zeitz MOCAA) parcourt les différents pays et diasporas d’Afrique, « visitant les ateliers et dépensant sans compter ». Son impressionnant butin constitué d’œuvres du XXIe siècle anime aujourd’hui une institution pensée pour lui. Cet établissement, le plus grand musée d’art contemporain africain à but non lucratif au monde et le premier du genre en terre africaine, a ouvert ses portes en septembre 2017. C’est grâce à la collaboration de Jochen Zeitz, mécène, propriétaire et donateur de la collection Zeitz, et de David Green, PDG de la V&A Waterfront du Cap, qu’un silo à grains longtemps négligé a pu être transformé par le designer anglais de renom Thomas Heatherwick en un magnifique musée d’art dont le public avait bien besoin.

La restauration et reconversion de l’unique bâtiment en béton et de ses 116 gigantesques tubes verticaux n’ont pas été une mince affaire. « Nous voulions autant que possible conserver la structure et le caractère du bâtiment, ainsi que la présence de ces tubes qui le rende si singulier. Mark et son équipe se sont toutefois montrés catégoriques : les tubes sont une horreur pour exposer de l’art, explique Thomas Heatherwick. L’autre grande question portait sur l’entrée : comment, sur un continent où la majorité de la population n’a jamais pénétré dans un musée, la rendre moins intimidante ? La stratégie semblait consister à doter le musée d'un cœur extraordinaire. »

La réponse est venue d’un simple grain de maïs, dont la forme irrégulière a inspiré l’élégant atrium central du musée, magnifiquement sculpté pour révéler à la fois la géométrie inattendue des tubes et permettre le déploiement en hauteur de 80 espaces de galeries qui s’élèvent jusqu’au jardin de sculptures, aménagé sur la terrasse du 9e étage. Les fenêtres à facettes installées aux étages supérieurs réfléchissent pour leur part des vues de la ville et de Table Mountain, tandis que les surfaces texturées du bâtiment en béton d’origine conservent leur aspect bancal, brut et accueillant.

La collection permanente du musée abrite d’importantes œuvres d’artistes tels que El Anatsui, Roger Ballen, Njideka Akunyili Crosby, Nicholas Hlobo, Penny Siopis, Athi-Patra Ruga, Mary Sidande, Hasan et Husain Essop, ou encore Kehinde Wiley. Cette collection se partage les galeries avec les expositions temporaires consacrées à certains thèmes ou artistes et conçues par l’équipe interne ou par des commissaires extérieurs, voire par des centres indépendants dédiés à la photographie, à la pratique performative, à l’image animée, à l’éducation, au costume ou à la pratique du commissariat. Parmi les artistes initialement sélectionnés pour ces expositions figurent Edson Chagas, Yinka Shonibare, Zanele Muholi, Kudzanai Chiurai et Nandipha Mntambo.

« L’Afrique a par le passé assisté à l’exode de ses œuvres majeures ; les musées du monde entier sont actuellement engagés dans d’épineux débats sur l’existence ou non d’un droit à conserver ‘l’héritage’ d’autres nations, explique Mark Coetzee. Si l’art africain suscite aujourd’hui un intérêt nouveau, la dévaluation de la plupart des devises africaines entraîne la vente de la plupart des œuvres, qui vont rejoindre des collections publiques ou privées du monde entier. Nous proposons de nous efforcer à conserver certains chefs-d’œuvre pour permettre aux Africains d’avoir accès à leur propre héritage culturel. »

En dépit d’une courageuse vision déterminée à appuyer le discours artistique dominant en Afrique, notamment en matière d’identité, de genre et de post-colonialisme, il était évident qu’il ne serait pas aisé de plaire à tout le monde, une fois le musée ouvert. On nous demandait surtout : « Serais-je représenté dans le musée ? » Les attentes suscitées au niveau de la ville, de l’Afrique du Sud, du continent et de la diaspora étaient très élevées. Cette préoccupation ne nous a laissé aucun répit ; il est toutefois extraordinaire de constater qu’elle est partagée par plusieurs de nos artistes, qui se servent de leur propre image en un geste personnel et politique. « Laissez-moi occuper cet espace » : voilà leur message principal. »

Le nombre de visiteurs enregistré par le Zeitz MOCAA a déjà largement dépassé les prévisions et Mark Coetzee espère que cette nouvelle institution continuera de susciter des débats de ce type, au sein et hors ses murs. « Mon rêve serait d’avoir toujours la liberté d’accueillir des discours discordants. Nous venons d’un continent où de nombreuses décisions ont été prises à notre place, en fonction de notre nationalité : qui nous avons le droit d’aimer, qui nous pouvons être, où nous avons le droit d’aller, etc. Aucun d’entre nous n’acceptera à l’avenir d’être confiné dans une si étroite définition. Nous souhaitons prendre part à l’écriture de notre propre histoire et prendre le temps d’ouvrir un espace de discussion public où ce type de décisions sera débattu. Laissons le musée se charger de ce processus. »

Interview de Helen Jennings

Mark Coetzee a démissionné de son poste de directeur exécutif du Zeitz MOCAA en mai 2018. L’entretien retranscrit dans ce numéro a été conduit précédemment à ces faits.