Depuis la création de son agence en 1969, Tadao Andō surprend par ses constructions dont le béton brut et l’épure des formes géométriques sont devenus les symboles. Du Modern Art Museum de Fort Worth au Texas, à l'Armani Teatro à Milan, en passant par l’opéra de Shanghai, prévue pour le printemps 2014, l’architecte japonais laisse sa trace sur le paysage mondial. Parmi ses œuvres les plus emblématiques, TLmag a choisi le Benesse Art Site Naoshima, nom du centre artistique conduit par la Benesse Holding, Inc. et la Fondation Fukutake sur les îles de Naoshima, Teshima et Inujima en mer intérieure de Seto au Japon, et l’aventure du Palazzo Grassi, siège de la Fondation François Pinault à Venise, comme thème central de l’interview exclusive pour ce numéro spécial Asie.

Teatrino du Palazzo Grassi. Béton et lumière naturelle, deux éléments omniprésents dans l’œuvre de Tadao Andō; photo ORCH orsenigo chemollo

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

Teatrino du Palazzo Grassi. Béton et lumière naturelle, deux éléments omniprésents dans l’œuvre de Tadao Andō; photo ORCH orsenigo chemollo

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Tlmag : La lumière semble avoir une place très importante dans votre œuvre. Est-ce l’influence du travail de Le Corbusier que vous avez découvert pendant votre formation d’architecte autodidacte ?
 
Tadao Andō: J’ai voyagé pour la première fois en Europe en 1965 et j’ai été effectivement bouleversé par la chapelle de Notre-Dame-du-Haut, à Ronchamp, conçue par Le Corbusier. En voyant ces gens réunis sur la colline, j’ai compris que l’architecture se doit de proposer un lieu où l’on puisse se rencontrer, échanger et vivre ensemble. À l’intérieur de la chapelle, la lumière inonde le bâtiment de toutes parts. Cela a considérablement influencé mon approche de l’architecture. Pendant ce même voyage, j’ai visité le Panthéon de Rome et j’ai découvert une approche différente de l’espace, que l’on ne peut pas avoir dans la culture japonaise. J’ai senti et compris une nouvelle force de l’architecture. Un seul fil de lumière tombant du plafond… Une composition très simple mais qui séduit les hommes depuis plusieurs siècles. Je pense que la lumière donne la vie à l’architecture. C’est pourquoi je commence toujours par penser la lumière quand je crée un espace architectural.

Tadao Ando dans son bureau à Osaka; photo Shigeo Ogawa

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

Tadao Ando dans son bureau à Osaka; photo Shigeo Ogawa

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TLmag: C’est le cas de l’île de Naoshima, où malgré les bâtiments souterrains, la lumière naturelle est omniprésente. Comment avez-vous abordé ce projet de transformation d’une île en centre d’art à ciel ouvert ?

T.A. : Quand j’ai visité cet endroit pour la première fois en 1988 avec Soichiro Fukutake, le propriétaire de Benesse Art Site Naoshima, il m’a exprimé son désir de transformer Naoshima en île de l’art et de la culture, tout en protégeant la mer de Seto et le paysage environnant. J’ai hésité car, avec une grande honnêteté, à l’époque, la mer de Seto était très polluée et Naoshima était un ensemble de collines rasées sans aucun arbre. Mais Fukutake croyait tellement en son projet que j’ai décidé de le suivre. Aujourd’hui, je suis en effet très fier de cette réalisation. Je voulais mettre en valeur la nature du lieu, c'est pour cela que j’ai conçu des bâtiments enterrés, au milieu de la forêt.

Grâce à son architecture souterraine, le Chichu Art Museum a préservé le passage de l’île de Naoshima; photo Fujitsuka Mitsumasa 

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

Grâce à son architecture souterraine, le Chichu Art Museum a préservé le passage de l’île de Naoshima; photo Fujitsuka Mitsumasa 

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Benesse House, la première construction de Tadao Ando pour le projet de Benesse Art Site Naoshima, en 1992 ; photo Tadasu Yamamoto

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

Benesse House, la première construction de Tadao Ando pour le projet de Benesse Art Site Naoshima, en 1992 ; photo Tadasu Yamamoto

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TLmag: C’est le même principe qui vous a guidé à la Punta della Dogana, à Venise, qui accueille aujourd’hui la Fondation François Pinault ?

T.A. : La Punta della Dogana est un ancien bâtiment des douanes datant du XVe siècle, j’ai donc travaillé davantage sur sa place dans l'histoire tout en conservant le paysage vénitien adoré par les hommes depuis des siècles. Ces deux projets, deux îles entourées par la mer, sont très marquants pour moi, parce qu’ils résument assez bien l’idée d’une architecture ancrée dans l’environnement.

 Punta della Dogana, l’ancienne douane du XVe siècle à Venise a été transformée tout en conservant sa dimension historique; photo Shigeo Ogawa

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

 Punta della Dogana, l’ancienne douane du XVe siècle à Venise a été transformée tout en conservant sa dimension historique; photo Shigeo Ogawa

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TLmag: La Punta della Dogana vous a ouvert les portes d’autres projets à Venise, comme celui du Teatrino. Quels ont été les obstacles dans la rénovation de ce bâtiment historique ?

T.A.: L’espace du Teatrino était à l’origine la cour du Palazzo Grassi. Mais en 1951, lors des travaux de rénovation, on a construit sur cet emplacement un théâtre qui devait être temporaire.  D’où son manque de valorisation. Mais à Venise la destruction d’un bâtiment étant pratiquement prohibé, j’ai eu l’idée de restaurer la façade extérieure et d'y introduire une boîte en béton contenant un auditorium. Une sorte de récupération de la mémoire du lieu au cœur d’une architecture contemporaine qui n’est pas factice.

Punta della Dogana a été un défi pour Tadao Ando qui a dû intervenir sur un bâtiment protégé; photo Shigeo Ogawa

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

Punta della Dogana a été un défi pour Tadao Ando qui a dû intervenir sur un bâtiment protégé; photo Shigeo Ogawa

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TLmag: Vous semblez avoir une relation de confiance avec François Pinault. Vous êtes deux autodidactes, l’un dans l’architecture, l’autre dans l’art. Comment se passent vos collaborations ?

T.A. : Je dois cette rencontre à Karl Lagerfeld qui nous a présentés l’un à l’autre. François Pinault m’a proposé un projet de vignoble, le Château Latour, qui n’a pas abouti. Ensuite, mon projet pour la Fondation Pinault sur l’île Seguin, à Paris, a été retenu lors du concours international mais celui-ci a dû s’arrêter pour diverses raisons. Nous sommes cependant restés en contact et nous nous sommes finalement retrouvés autour du chantier du Palazzo Grassi puis de la Punta della Dogana. Deux projets très difficiles qui, à mon avis, ont pu aboutir grâce au travail formidable des équipes et également à François Pinault lui-même qui fut un véritable chef d’orchestre au courage incomparable. L’architecture doit être le reflet de l’époque. Mon travail consiste avant tout à concevoir un projet en observant le monde alentour. Je crois que François Pinault partage cette même vision, non seulement dans son travail mais également dans sa vie.

Teatrino du Palazzo Grassi: réaliser une boîte de béton pour concevoir l'auditorium à l’intérieur de ce bâtiment classé a été une façon pour Tadao Ando de conserver la mémoire du lieu; photo ORCH orsenigo chemollo

Tadao Andō: Le voyage des îles de Naoshima à Venise | Architecture

Teatrino du Palazzo Grassi: réaliser une boîte de béton pour concevoir l'auditorium à l’intérieur de ce bâtiment classé a été une façon pour Tadao Ando de conserver la mémoire du lieu; photo ORCH orsenigo chemollo

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