Quelles sont les dynamiques de la scène du design d’aujourd’hui ? Une conversation que nous avons eu avec quatre grands critiques et conservateurs de design et d’architecture, exerçant à New York comme au niveau international, vous donnera un aperçu de la nature changeante du design et de ses (re)présentations.

Studio Formafantasma, Botanica, 2011, © MoMA Committee on Architecture and Design Fund - photo © Luisa Zanzani

La scène du design à New York | Nouveautés

Studio Formafantasma, Botanica, 2011, © MoMA Committee on Architecture and Design Fund - photo © Luisa Zanzani

×

S’il n’est guère risqué d’affirmer que New York est l’une des capitales mondiales de l’art, le design n’y a pas encore acquis le statut de discipline culturelle majeure, bien que de grandes institutions telles que le Cooper Hewitt (Smithsonian National Design Museum), le Musée d’Art et de Design (Museum of Art and Design, MAD) et le Musée d’Art Moderne (Museum of Modern Art, MoMA), mais aussi des organisations plus modestes, telles que le Storefront for Art and Architecture, jouent des rôles divers dans l’élaboration de plus vastes définitions de cette discipline. Les efforts déployés en ce sens se font en marge de la sphère culturelle principale. « À Londres ou Milan, tout le monde est à l’aise lorsqu’il s’agit de parler de design », déclare Paola Antonelli, curatrice principale d’architecture et de design du MoMA. « Chez le coiffeur, vous trouvez des revues telles que People ou Hello, mais aussi Domus ou Abitare. Si les New Yorkais ne sont pas aussi familiarisés avec le design, ils ont revanche une longueur d’avance en matière d’art contemporain ; les galeries d’art sont même fréquentées par des enfants de cinq ans.

“This Is for Everyone: Design Experiments for the Common”, MoMA, 14/2/15 - 1/1/16 - photo © John Wronn

La scène du design à New York | Nouveautés

“This Is for Everyone: Design Experiments for the Common”, MoMA, 14/2/15 - 1/1/16 - photo © John Wronn

×

Paola Antonelli

La scène du design à New York | Nouveautés

Paola Antonelli

×

Joseph Grima, partisan de longue date du design et de l’architecture, est le directeur du festival annuel du New Museum, baptisé Ideas City, qui envisage l’avenir des villes par le biais de la culture ; il est également co-directeur de la biennale d’architecture de Chicago, qui se déroulera prochainement. Selon lui, les grandes institutions sont à la traîne lorsqu’il s’agit d’intégrer de nouvelles formes de design : « La scène du design new-yorkaise est un paysage fragmenté dépourvu d’un espace unique qui tienne lieu de plateforme centrale. Ceux qui adoptent véritablement de nouvelles applications et acceptent le rôle de la technologie sont soit des initiatives telles que Rhizome et Eyebeam, soit de plus petites galeries telles que Baby Castles, qui travaillent exclusivement avec des artistes utilisant le jeu vidéo comme support. On peut également citer New Inc, l’incubateur de nouveaux talents du New Museum, qui apporte son soutien aux personnalités dont le travail se situe à la croisée de l’art, de la technologie et du design. De plus petites galeries et initiatives contribuent elles aussi de façon significative à l’affirmation du design dans le paysage culturel new yorkais.

En se tournant vers le passé, on se rend toutefois compte que les expositions temporaires ont également marqué la transition entre des produits de design traditionnels et industriels et un design plus critique et social. « Je me souviens qu’Ellen Lupton a organisé au Cooper-Hewitt une exposition intitulée « Mechanical Brides: Women and Machines, from Home to Office » (« Fiancées mécaniques : Femmes et Machines, de la Maison au Bureau’ »). Plutôt que de se limiter aux objets, cette exposition s’intéressait à ce que révèlent les foyers sur le rôle des femmes », explique Paola Antonelli. « Au fil de l’expansion de la culture digitale, la nature changeante du rôle des objets eux-mêmes est naturellement devenue un sujet problématique. Je dirais que de nombreux conservateurs ont embrassé cette évolution avec passion. »

Joseph Grima

La scène du design à New York | Nouveautés

Joseph Grima

×

“Letters to the Major”, Storefront for Architecture, 30/4 - 24/5/14

La scène du design à New York | Nouveautés

“Letters to the Major”, Storefront for Architecture, 30/4 - 24/5/14

×

“Letters to the Major”, Storefront for the Architecture, 30/4 - 24/5/14

La scène du design à New York | Nouveautés

“Letters to the Major”, Storefront for the Architecture, 30/4 - 24/5/14

×

Cara McCarty, conservatrice au Cooper Hewitt, rappelle à notre esprit une exposition montée par le MoMA à la fin des années quatre-vingt, « Designs for Independent Living » (« Des designs pour un mode de vie indépendant »), l’une des premières expositions de ce genre. « Le titre mettait bien en évidence la thèse de l’exposition, qui ne portait pas sur les objets, mais sur des designs conçus pour permettre aux personnes handicapées de vivre de façon autonome. Elle véhiculait l’idée de la portée universelle du design. »

Storefront for Art and Architecture, une organisation à but non lucratif située au croisement des quartiers new-yorkais de Chinatown, Little Italy et SoHo, se concentre depuis sa création sur des questions sociales et politiques. « Si l’on plonge dans les archives, on découvre que Storefront a présenté en 1985 « Homeless at Home » (« Des sans-abris chez eux »), une exposition accompagnée d’une série d’événements, de performances et d’actions directement consacrées à un problème social majeur auquel se trouvait à l’époque confrontée la ville de New York », explique Eva Franch, directrice de Storefront. De même, l’exposition « Queer Space » (« l’espace queer ») de 1994 était mue par l’urgente nécessité de repenser la politique de l’espace et cherchait à dévoiler plusieurs définitions des termes « queer » et « espace », ainsi que le lien conceptuel unissant ces deux notions.

Les approches critiques de ce genre sont de plus en plus populaires et suscitent la réflexion et le débat. Mais comment l’expansion d’une plus vaste définition du design se manifeste-t-elle au niveau des acquisitions et de l’organisation des expositions ? « Depuis sa fondation, le MoMA a suivi le déploiement de la modernité dans tous les médias visuels », raconte Paola Antonelli. « L’une des définitions les plus larges et les plus justes du modernisme est liée au progrès, aux idées sociales, à la volonté de faire avancer le monde. Je ne présenterai pas un objet parce qu’il est important d’un point de vue historique ni parce qu’il jouit d’une grande popularité ; je le proposerai avant tout parce qu’il a joué un rôle central dans le progrès de la société. Dans le cadre de l’exposition actuelle baptisée « This Is For Everyone » (« C’est pour tout le monde ») et consacrée à la promesse complexe et parfois ambivalente du design contemporain, nous avons acquis, entre autres objets, la collection spéculative « Botanica » de Formafantasma. Fabriqués en matériaux organiques, les vases qui la composent s’interrogent sur ce que serait le design si la découverte moderne de l’huile n’avait jamais eu lieu. »

Leong Leong & Natasha Jen/Pentagram, “OfficeUS” - photo © David Sundberg/Esto

La scène du design à New York | Nouveautés

Leong Leong & Natasha Jen/Pentagram, “OfficeUS” - photo © David Sundberg/Esto

×

Cara McCarty

La scène du design à New York | Nouveautés

Cara McCarty

×

Tandis que la collection de design du MoMA, modeste mais ciblée compte cinq mille objets de design, celle du Cooper Hewitt en comprend plus de deux cent mille, couvrant trente siècles de design historique et contemporain. Depuis sa réouverture, le musée reconnaît toutefois l’importance de se concentrer sur des collections d’actualité. Ses expositions mêlent délibérément des objets historiques à des pièces contemporaines, produisant ainsi des dissonances propices à la réflexion. « Le travail dans un musée de design est passionnant car il permet de toucher à différents domaines de création », affirme Cara McCarty. « Pour moi, le design se trouve véritablement au carrefour de l’art, de la science et de la technologie. »

Non seulement le domaine du design s’est élargi et se trouve désormais à cheval sur plusieurs disciplines, mais il se repose également davantage sur la collaboration. « Il me semble très intéressant de collaborer avec des personnes issues de différents milieux. Cette contamination interdisciplinaire permet une grande souplesse », déclare Joseph Grima. « Selon moi, il en va de même pour les expositions. On doit pouvoir interagir avec tous ces langages et les évaluer. Tout dépend du format dont vous disposez à un moment donné dans le temps. Il y a quelques années, c’était la revue Domus ; aujourd’hui, c’est un studio de design indépendant : Space Caviar. On fait de son mieux avec ce que l’on a sous la main. C’est une question d’adaptation. »

Leong Leong, “OfficeUS”, U.S. Pavillion, 2014 - © courtoisie de Leong Leong

La scène du design à New York | Nouveautés

Leong Leong, “OfficeUS”, U.S. Pavillion, 2014 - © courtoisie de Leong Leong

×

Leong Leong & Natasha Jen/Pentagram, “OfficeUS” - photo © David Sundberg/Esto

La scène du design à New York | Nouveautés

Leong Leong & Natasha Jen/Pentagram, “OfficeUS” - photo © David Sundberg/Esto

×

“Beautiful Users”, Cooper-Hewitt, Smithsonian National Design Museum, 2014 - photo © Matt Flynn, Smithsonian Institution

La scène du design à New York | Nouveautés

“Beautiful Users”, Cooper-Hewitt, Smithsonian National Design Museum, 2014 - photo © Matt Flynn, Smithsonian Institution

×

Henry Dreyfuss, The Measure of Man, affice / poster, 1969 - photo © Matt Flynn, Smithsonian Institution

La scène du design à New York | Nouveautés

Henry Dreyfuss, The Measure of Man, affice / poster, 1969 - photo © Matt Flynn, Smithsonian Institution

×

“Beautiful Users”, Cooper-Hewitt, Smithsonian National Design Museum, 2014 - photo © Matt Flynn, Smithsonian Institution

La scène du design à New York | Nouveautés

“Beautiful Users”, Cooper-Hewitt, Smithsonian National Design Museum, 2014 - photo © Matt Flynn, Smithsonian Institution

×

Pour Eva Franch, chaque format a sa propre audience, sa temporalité et son degré d’efficacité. « Nous ne croyons pas à la culture déterminée par l’horloge et bornée dans le temps, ni aux formes d’engagement préétablies. Notre rôle consiste en partie à produire de nouveaux formats capables de briser les formes de production culturelle préconçues et héritées du passé. Depuis « WorldWide Storefront » (une biennale anti-biennale) jusqu’à « OfficeUS » (un Pavillon anti-pavillon de la biennale d’architecture de Venise de 2014), en passant par la série d’événements organisés dans notre galerie (Productive Disagreements, Total Enthusiasms, la série Paella, etc.), nous concevons le format comme une réalité qui doit constamment être remise en question, réinventée et reconsidérée. »

Eva Franch

La scène du design à New York | Nouveautés

Eva Franch

×

Yves Béhar, Sabi Thrive Pill Organizers & Accessoires, 2011 - © courtoisie de Sabi

La scène du design à New York | Nouveautés

Yves Béhar, Sabi Thrive Pill Organizers & Accessoires, 2011 - © courtoisie de Sabi

×

Jesse Howard, Transparent Tool, aspirateur improvisé/improvised Vacuum with Tube and Brush, 2012 - © courtoisie du Jesse Howard

La scène du design à New York | Nouveautés

Jesse Howard, Transparent Tool, aspirateur improvisé/improvised Vacuum with Tube and Brush, 2012 - © courtoisie du Jesse Howard

×

“Adhocracy” sous le commissariat de/suivie par Joseph Grima, The New Museum

La scène du design à New York | Nouveautés

“Adhocracy” sous le commissariat de/suivie par Joseph Grima, The New Museum

×

Mais comment le design ou l’architecture peuvent-ils avoir la moindre influence sur le terrain ou, à un niveau plus tangible, sur la société et le quotidien ? Nous avons pu constater que n’importe quoi et pratiquement n’importe qui peuvent être influents aujourd’hui. La question est la suivante : « De quel type d’influence s’agit-il ? » Eva Franch répond : « L’an dernier à Storefront, par exemple, nous avons lancé une exposition baptisée « Letters to the Mayor » (« Lettres au maire »), composée de cinquante lettres écrites par des architectes de tous pays à des dirigeants politiques de plus de vingt villes du monde entier. Chaque lettre ouvrait un espace de réflexion que les architectes étaient libres de meubler d’idées, de méthodologies, de préoccupations et d'aspirations susceptibles de contribuer à la prise de décisions au niveau de la sphère politique. Nous avons envoyé ces lettres aux maires concernés et plusieurs d’entre eux ont par la suite contacté les architectes pour poursuivre les conversations ainsi lancées. Cette exposition est aujourd’hui copiée dans différentes villes du monde, de Panama à Taipei. »

« La nature du prochain Ideas City rappelle fortement celle de Storefront », confie Joseph Grima, directeur de Storefront. « Ce festival parle beaucoup d’adaptation et d’occupation temporaire de la rue. Il s’agit d’un laboratoire permettant d’explorer les possibilités de la fugacité. L’architecture éphémère n’a pas un avantage intrinsèque sur l’architecture permanente ; toutes deux sont nécessaires, mais il me semble que les possibilités qu’offre l’architecture éphémère ne sont pas appréciées à leur juste valeur : ce type d’architecture remet en question l’ordre établi et la hiérarchie de l’espace. Je pense vraiment qu’une plateforme consacrée aux créations temporaires (une ville nomade sortant chaque année de terre pour une courte durée) pourrait transformer l’espace et notre perception de la ville. » Espérons que ces entreprises éveilleront l’enthousiasme du public new-yorkais à l’égard des exaltantes idées et possibilités que le design et l’architecture ont à nous offrir.

Unfold, céramique imprimée en 3D/Stratigraphic Manufactuary

La scène du design à New York | Nouveautés

Unfold, céramique imprimée en 3D/Stratigraphic Manufactuary

×

Unfold, céramique imprimée en 3D/Stratigraphic Manufactuary

La scène du design à New York | Nouveautés

Unfold, céramique imprimée en 3D/Stratigraphic Manufactuary

×

Unfold, céramique imprimée en 3D/Stratigraphic Manufactuary

La scène du design à New York | Nouveautés

Unfold, céramique imprimée en 3D/Stratigraphic Manufactuary

×